Si près si loin

Exposition

 

La possibilité d’un paysage

« Le futur était vide. Il était la montagne. »*

Le paysage est depuis quelques années au coeur du travail de Sylvie Dupin. Loin des arpenteurs du Land Art, elle en explore moins les étendues que les possibles représentations à l‘heure du numérique et de l‘exploration spatiale. Ses précédents photomontages de cartes postales des années 70, scannés puis imprimés en grand format, interrogeaient déjà la fabrique imaginaire du paysage en fusionnant des vues hétéroclites, en nivelant le proche et le lointain pour les ramener au devant de l‘image et de notre regard. C’est précisément cet aplanissement des distances dans l’image qui nous suspendait entre d’une part un sentiment de vraisemblance et de déjà vu, d’autre part le trouble et le doute suscités par des rapports d’échelle inédits. Les différents sites sélectionnés importaient moins pour les lieux qu’ils montraient que pour les distorsions spatiales qu’ils permettaient.

Cette même question du proche et du lointain – du local et du global pourrions-nous penser aujourd’hui – sous-tend deux autres séries plus récentes, Des monts et merveilles et la très explicite Si près, si loin. Dans la première, tout effet de profondeur et de perspective est annulé par une représentation en ombres chinoises : un simple contour gomme les distances entre des couples enlacés (quelques uns, célèbres, de l’histoire du cinéma) et les crêtes découpées des montagnes qu‘ils regardent, assimilant les uns aux autres. Dans la seconde, l’artiste juxtapose des fragments de cartes postales à des paysages stellaires, tels que sondes et satellites nous les renvoient sur nos écrans, et que l‘artiste a re-photographiés. L’aplanissement des distances est remplacé ici par un aplatissement des couleurs, dans une utilisation volontairement manifeste de l’outil numérique. Il y a pourtant dans cette série, comme dans les premiers photomontages, une même attention portée à la matière du paysage – végétale et minérale -, qui, elle aussi ramenée à la surface de l’image et au devant du regard par un effet somme toute pictural, devient le sujet plastique de l’oeuvre. Là encore, le site importe peu, le paysage est une image, une reconstruction du regard guidé par cette matière.

Dans cette série, Si près, si loin, une figurine de super héros quelque peu défraîchie s’intercale entre nous et le paysage. Le jeu, en tant qu’objet et processus, est en effet une autre constante, plus ancienne encore, du travail de Sylvie Dupin, par lequel elle combine légèreté et gravité. Dans les oeuvres récentes, cette métaphore est alimentée par la mise en évidence d’une utilisation brute, rudimentaire de techniques et « trucages », qui ne veulent duper personne : collage et applications Photoshop, trucages du début du cinéma avec, par exemple, le ralenti ou l’inversion du déroulement de l’image dans le film Playground. Ils viennent nous rappeler que la fabrication des images est une activité ludique et jubilatoire, que l’artiste reste cet enfant iconoclaste n‘hésitant pas à détruire ou à disloquer ses jouets/outils pour les adapter à l‘univers imaginaire et plus ou moins mensonger qu‘il s’apprête à reconstruire sur ces ruines.

Le jeu est également un processus de distanciation, tout comme, dans toutes les séries récentes, l‘allusion récurrente à une histoire de l‘image, animée ou non. Qu’il s’agisse de la lanterne magique des XVIIIe et XIXe siècles animant des silhouettes, des premiers trucages et images colorisées du cinéma ou des traitements numériques actuels, toute cette histoire infiltre le travail d’une artiste dont on connaît l’intérêt prononcé pour le cinéma. Là encore, on assiste moins à la résurgence d’images d’une autre époque qu’à une réminiscence des matières, des couleurs et de la temporalité jadis générées par ces techniques. Elles teintent les oeuvres d’une mélancolie qui engage le spectateur à s’attarder, introduisant ainsi un peu de cette durée que les avancées technologiques ont comprimée.

Les oeuvres de Sylvie Dupin se situent dans une tradition picturale et graphique de la représentation du paysage, auxquelles les constructions mentales de Nicolas Poussin avaient donné ses premières lettres de noblesse, relayées ensuite par les caprices de Piranèse et Hubert Robert. Dans leurs gravures, prisées des Romantiques pour l’inquiétude fantastique qu’elles diffusaient, les artistes combinaient déjà des vues et des monuments antiques de diverses provenances, semaient leurs paysages de ruines gagnées par l’entropie. Les paysages de Sylvie Dupin se laissent pénétrer de l’esprit et de l’esthétique parfois désuets mais toujours ludiques de la science-fiction des années 60 et 70 ; ils se déclinent ainsi au futur antérieur, entre histoire et avenir de nos représentations.

Anne Giffon-Selle, novembre 2010.
Historienne de l’Art.
* Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, Fayard, 2005, p.485.

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