La Chevelure d’Eros

Exposition mars 2011

Le Corps du Désir

Gérard Mathie parle de ses «boulots» depuis plus de trente ans que je le connais, le mot raisonne comme une esquive pour ne pas dire «tableaux» ou «peinture». Il parle de la «toile» tendue à l’extrême par les multiples couches de colle de peau, qui offre le grain de la toile et qu’il tambourine de ses doigts. Il finit par dire que la coloration de la colle et la toile tiennent d’un rendu de «peau»; le corps humain support de la peinture, support de ces brièvetés de foudre surgies de la pénombre, dominées par des variations du noir au blanc teintées par l’incarnat du support, la couleur brute, dit-il parasiterait le tableau. Disant cela on aura compris que regardant d’un jet tous ces tableaux, où se répètent le noir, le blanc, la colle de «peau», le tout immergé dans des paysages de poils, on est plongé dans la pénombre, dans le plaisir tactile d’objets charnels, dans des paysages humains.

La mouche

Depuis bien longtemps la mouche est épinglée en relief sur les «boulots» de Mathie, décollée du plan de la représentation. La mouche est un oeil braqué sur la peinture, mais il s’agit d’une mouche qui ne tranche pas entre l’insecte volant familier de la chair vive ou en putréfaction, entre la mouche qui simule l’insecte pour appâter l’ombre, ou encore la fine mouche en taffetas posée sur la peau pour raviver l’éclat un peu niais de l’oeil. La mouche de Mathie est la pulsion de voir à l’oeuvre, braquée sur le paysage charnel du désir comme la signature de toute oeuvre plastique.

L’attente de voir

Mathie dit savoir où il va avec la technique, il parle du plaisir de faire. Mais il admet également que la fabrication est un prélude, une forme d’attente. C’est une fois l’ouvrage achevé qu’il envisage le contenu. Les boîtes ont deux volets articulés par une charnière, le «boulot» s’ouvre, s’articule, se ferme, la surface des boîtes est animée par les paysages velus, elle tient d’un écrin, alors on l’ouvre. Que peut contenir la peinture sinon un oeil en regard? Le désir de voir Cet oeil qui se glisse partout dans les oeuvres de Mathie ne dit pas son nom, juste ce qu’il indique dans les vingt-sept fenêtres alignées en trois registres où les poils du noir au blanc encadrent des paysages sexués. Ou encore dans les mondes velus d’un mètre de côté. Véritable attente d’une vie nouvelle sur cette ligne où le visible ne l’est plus, le désir de voir se tient comme un papillon en attente dans son sarcophage, telles ces sphères hérissées de poils en métal enchâssées dans des boîtes en plexiglas, prêtes à surgir.

Psyché surprend Eros

Mathie nous déroule à sa manière, le récit de Psyché qui surprend Éros, ou la rencontre entre la pensée et la vie sexuée que pendant des siècles, peintres et sculpteurs ont représentée d’après le récit d’Apulée. Favorisée par l’amour d’Eros, Psyché jouit d’un bonheur presque parfait s’il ne lui venait pas à l’idée de chercher à le voir. Son amant lui interdit de tenter de projeter de la lumière sur lui, mais Psyché ne peut s’en empêcher. Au moment où Psyché s’approche d’Éros endormi, une goutte d’huile coule de la lampe qu’elle tient à la main, brûle l’épaule de son amant qui réveillé en sursaut fuit et disparaît. A partir de cet instant les malheurs de Psyché commencent.

La chevelure d’Éros

Le récit de Mathie se tient juste avant qu’Éros ne se découvre démasqué, le peintre tente de serrer de près l’aventure de Psyché au moment où la lueur de la lampe lui dévoile la vision d’Éros juste endormi. «De tous les monstres sauvages que Psyché s’attendait à voir dans son geste de transgression, elle vit le plus tendre et le plus suave, Eros lui-même. Stupéfaite devant une telle vision, Psyché ne maîtrisait plus sa raison. Au moment où elle reprend ses esprits, elle voit une tête dorée à la vierge chevelure, des joues où errent des boucles harmonieusement entrelacées, certaines retombant sur le front, d’autres rejetées vers l’arrière, le tout resplendissant d’un tel éclat que même la lumière de la lampe en vacille».

Andrea Iacovella, octobre 2010

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