Ailleurs au quotidien

Exposition

 

L’ailleurs au quotidien

Voilà qui pourrait s’appeler tout bonnement « aventures de lignes », comme on s’y est parfois risqué, ou bien encore « voyages au centre de l’imaginaire », tant ce sont là autant d’invitations à découvrir un ailleurs tapi au coeur du quotidien que nous propose Marc PESSIN.
Car ces lignes qui vont de l’avant, prenant bien soin de ne pas se briser, s’écrasant et se rapprochant sans jamais se confondre ou bien sagement parallèles jusqu’à l’instant de s’infléchir ensemble pour bientôt reprendre leur train, ne semblent-elles pas inventer à mesure de leur chemin de nulle part, jouant de la seule harmonie de leur traversée de l’espace ? Impossible alors de ne pas se laisser fasciner par ces cheminements hasardeux retrouvant les mesures parfaites qui de chaque pièce font un monde nouveau où l’on aimerait se perdre…

Et pourtant, à s’attarder davantage, il apparaît qu’il n’y a rien là d’improvisé quand ce sont autant de processus inscrits au sein de la matière qui, sous la main très sûre de Marc Pessin, resurgissent à point nommé pour dire le monde caché derrière le monde visible dont on allait se contenter. Flux laminaires, translations fractales conjuguant à plaisir leurs divers labyrinthes : derrière de telles appellations qui pourraient paraître d’abord autant de formules ésotériques propres à nous égarer.

Ce sont en effet d’authentiques dynamiques élémentaires de la matière et de la vie qui se dissimulent, nous laissant entrevoir ce qui ne se voit pas d’abord et prend bien vite couleur d’éternité. Ainsi des flux laminaires qui se feraient volontiers passer pour rares figures poétiques et sont simplement représentations graphiques surprenantes mais banales, de l’écoulement régulier en strates parallèles des moindres particules de matière dont la trajectoire varie selon la viscosité du milieu qu’elles traversent. Quant aux translations, qui paraissent à raison évoquer quelque danse planétaire au sein du système solaire, les physiciens les connaissent bien qui désignent par là, dans leurs observations, les déplacements d’un corps au cours desquels les positions d’une même droite liée à ce corps restent délibérément parallèles, quels que soient les mouvements qu’on lui imprime ou les obstacles rencontrés engendrant plis et plissements. Et si les fractales peuvent faire songer à quelques fractures douloureuses voire quelques ruptures définitives, étymologie oblige, on sait plus sérieusement qu’elles servent aujourd’hui à décrire des objets qui, comme l’éponge ou le flocon de neige, laissent apparaître à l’analyse des formes fragmentées similaires imbriquées les unes dans les autres, de plus en plus minimisées. Enfin, c’est à toute heure qu’ils rencontrent des labyrinthes, dans leurs formulations mathématiques comme à l’extrémité de leurs microscopes, ceux qui, loin de Thésée et de toute mythologie en place, font métier de s’aventurer dans les arcanes de la matière comme de toute forme vivante.

C’est dire qu’en retenant de telles appellations pour ses différentes séries de gravures Marc PESSIN entend bien nous montrer qu’il ne s’agit pas là d’analogies fortuites ni de plaisantes divagations dans les plates-bandes de la science, mais que ce sont de semblables modes d’investigation qu’il revendique pour le chercheur et pour l’artiste. Comme si l’un et l’autre, à ses yeux, se trouvaient engagés dans la même quête d’une connaissance jamais achevée; à moins qu’il ne s’agisse ici et là, en dernier ressort, de la même poursuite de quelque infini dans notre monde fini…

En tout état de cause, l’oeuvre de celui qui nous livre ici quelques précieux fragments, dont on ne dira jamais assez l’authenticité, ne saurait être approchée sans certaine retenue qui implique de laisser parler ce qui se donne à voir et dit bien davantage que ce qui est vu d’abord. Car, d’une part, droites et courbes, lignes en mouvement qui renouvellent sans troubler l’espace où elle s’ébattent ont tôt fait d’émerveiller le spectateur, lui préparant à son insu quelque voyage imaginaire et le portant, d’onde en onde, à s’évader vers d’autres mondes privés d’histoire, non de légende, bien loin d’ici. Mais d’autre part, il apparait qu’il n’est point de hasard dans l’agencement de ces lignes et le rythme de leur déplacement: de telle ou d’autre sorte, il n’y a rien dans cet ordre formel qui ne renvoie ce même spectateur à un ordre profond, celui même qui régit les éléments premiers de la matière et de la
vie ; comme il n’est aucun de ces mouvements gravés qui de quelque façon ne retrouve et ne réactive des forces primitives qu’il ne soupçonnait guère. C’est bien en effet une oeuvre paradoxale que celle que nous offre Marc PESSIN, une oeuvre décidément réfractaire à tout étiquetage, à tout étalonnage, à toute confrontation comme à toute logique univoque. Et il se pourrait, en dernier ressort , que ce soit justement dans ce paradoxe et cette particularité que niche le miracle de cette oeuvre qui conjugue à l’extrême les délices de l’imaginaire et les rigueurs de la science, en travail tout pareillement. Sans rechercher le moindre effet ni crier gare d’aucune sorte, elle impose silence pour nous donner conjointement des nouvelles de nos origines et des nouvelles de notre devenir, de notre ancrage commun et de notre envol singulier. Et c’est dans ce silence que l’on découvre finalement que ce sont là moins d’inquiétantes énigmes qui nous sont données à résoudre, emblèmes ou blasons qui se voudraient porteurs d’un sens à dévoiler, qu’autant d’occasions de savourer jusqu’à s’y fondre l’insondable ailleurs qui se cache au creux de l’ici.

Jean BURGOS
Président honoraire de l’université de Savoie

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